L’importance d’une approche intersectionnelle en matière de violence fondée sur le genre

L’importance d’une approche intersectionnelle en matière de violence fondée sur le genre

Présenté par : Dr. Emily Colpitts

Alors que les établissements d’enseignement postsecondaire subissent une pression sans précédent pour réviser leur approche à la violence sexuelle sur les campus, il est important de s’attarder à leur conception de la violence. Mes recherches se concentrent sur les universités publiques de l’Ontario, où de nouvelles politiques en matière de violence sexuelle ont été émises par le gouvernement provincial en 2016. Des 22 universités ontariennes, 10 comportent des politiques qui ne reconnaissent pas l’aspect genré de la violence sexuelle ni ses impacts intersectionnels sur les divers systèmes d’oppression. En revanche, les politiques des 12 autres universités mentionnent l’intersectionnalité, et 9 d’entre elles s’engagent à intégrer cette analyse dans leur effort de lutte contre la violence. Ces références sont importantes, puisqu’elles soulignent la façon dont les systèmes d’oppression mènent à la vulnérabilité et posent obstacle à l’accès au soutien. Elles peuvent aussi servir d’outil de responsabilisation auprès des institutions.

Élaboré par Kimberlé Crenshaw et ancré dans une longue tradition afroféministe, le concept d’intersectionnalité représente à la fois un mode d’analyse critique et une pratique qui reconnaît le caractère inséparable des divers systèmes d’oppression. Ainsi, l’approche intersectionnelle doit non seulement éclairer notre compréhension des enjeux de violence sexuelle sur les campus, mais aussi guider nos actions concrètes pour confronter et prévenir cette violence. Lorsque ces engagements en faveur d’une approche intersectionnelle ne s’appliquent pas dans la pratique, les efforts de lutte contre la violence sexuelle peuvent plutôt mener à davantage de tort et de marginalisation.

CONSIDÉRATIONS-CLÉS POUR LES ÉTABLISSEMENTS D’ENSEIGNEMENT POSTSECONDAIRES:

Quelles voix et quels intérêts sont-ils priorisés ?

  • Votre établissement consulte-t-il des personnes expertes en matière de violence sexuelle, que ça soit auprès de centres de recherche ou d’organisations communautaires ?

  • Les comités d’étude et les groupes de travail mobilisent-ils l’implication des leaders de la communauté étudiante ? Si oui, comment ces personnes sont-elles sélectionnées ?

  • La composition de ces groupes reflète-t-elle la diversité présente sur le campus ?

  • Quelles sont les mesures en place pour éviter que des inégalités institutionnelles ne se reproduisent dans ces espaces, d’une façon qui privilégie certaines voix et en exclut d’autres ?

  • Les consultations étudiantes sont-elles suffisamment publicisées et accessibles ? Sont-elles tenues à des intervalles réguliers ?

  • Les personnes membres de la communauté ont-elles accès à de multiples manières d’exprimer leurs commentaires ?

  • Les résultats de ces consultations sont-ils résumés et publiés publiquement, de façon à permettre une plus grande transparence ?

Les efforts de prévention reflètent-ils une analyse intersectionnelle ?

  • Les programmes de prévention présentent souvent la violence sexuelle sous un angle dépolitisé, comme un enjeu de conflit interpersonnel. Par exemple, les campagnes d’éducation au consentement ont tendance à ne pas tenir compte des rapports de pouvoir inhérents à la violence sexuelle.

  • De plus, les efforts de prévention omettent souvent d’aborder comment les privilèges et l’oppression jouent sur la capacité d’intervenir lorsqu’on est témoin d’un acte de violence sexuelle, ou de résister en cas d’agression sans risquer la criminalisation ou d’empirer la situation.

  • Lorsque les efforts de prévention se concentrent uniquement sur la nature genrée de la violence, ils interprètent souvent les expériences vécues de violence à partir de la figure de la « bonne survivante », laquelle est typiquement perçue comme étant blanche, provenant de la classe moyenne, hétérosexuelle et cisgenre.

  • Le renforcement de la présence policière sur les campus peut renforcer le mythe de « l’agresseur étranger », ce qui, dans un contexte de racisme et colonialisme systémiques, peut nuire à la sécurité de la communauté sur les campus.

Les services de soutien aux personnes survivantes sont-ils accessibles et axés sur une approche intersectionnelle ?

  • Les services de soutien centrés sur la « bonne survivante » reproduisent souvent les obstacles qui nuisent à leur accessibilité pour les membres de communautés marginalisées.

  • La représentation compte. Les personnes membres de la communauté du campus veulent se sentir représentées dans ces espaces.

  • Les groupes de revendication devraient avoir l’occasion de définir leurs propres besoins et priorités.

Le processus de traitement des plaintes reflète-t-il une analyse intersectionnelle ?

  • Tient-il compte des obstacles qui empêchent les personnes survivantes marginalisées de signaler des actes de violence ?

  • Propose-t-il des options alternatives à la justice punitive ?

  • Existe-t-il des services de soutien destinés aux personnes ayant causé du tort ou commis un acte de violence ? Ces derniers sont-ils accessibles et axés sur une approche intersectionnelle ?

  • Le processus tient-il compte des manières dont le racisme et les autres systèmes d’oppression influencent les perceptions communes de l’agression ? Cela est-il relaté par des données académiques et des études, de manière à veiller à ce que ces systèmes ne se reproduisent pas dans le processus de traitement des plaintes ?

Comment la charge de travail en matière lutte contre la violence est-elle répartie ?

  • La lutte contre la violence sexuelle est un travail souvent dévalué dans la société. Par ailleurs, les organisations communautaires souffrent d’un manque de financement chronique, ce qui réduit leur capacité de soutien envers les personnes survivantes.

  • Cette dévaluation se reflète dans le contexte des établissements d’enseignement postsecondaires, où la lutte à la violence est souvent menée par des personnes qui sont déjà marginalisées au sein de ces institutions. Il est crucial qu’elles puissent avoir une charge de travail réaliste, un emploi stable et l’accès à des avantages sociaux.

  • Les organisations communautaires et les groupes étudiants peuvent contribuer à la lutte contre la violence, autant par leur expertise que par l’expérience vécue de leurs membres. Ainsi, ces partenariats devraient être renforcés par le bien de protocoles d’entente et de financement.

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Référence suggérée : Colpitts, Emily. (2020, juillet). L’importance d’une approche intersectionnelle en matière de violence fondée sur le genre. Le Courage d’agir. www.couragetoact.ca/blog/intersectionnelle

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Emily Colpitts

Emily Colpitts est titulaire d’une bourse de recherche postdoctorale au Centre de recherche féministe de l’Université de York. Ses recherches portent une analyse critique de la manière dont les universités canadiennes intègrent une approche intersectionnelle dans leurs réponses à la violence sexuelle sur les campus, ainsi que des possibilités et des défis liés à l’engagement des hommes cisgenres et à la déconstruction des masculinités dans une perspective de prévention. En tant qu’enseignante, elle vise faire des salles de classe des universités un espace d’apprentissage collectif sur la violence basée sur le genre, afin de générer des visions complexes et créatives d’une justice réparatrice. Elle est également membre du conseil d’administration du Toronto Rape Crisis Center/Multicultural Women Against Rape, où elle donne de son temps bénévolement depuis 2017.